mercredi 16 juin 2010

Raymond Domenech : Gallas va "nettement mieux que s'il allait plus mal"

Lors d'un point presse, le 03 juin 2010, Raymond Domenech, sélectionneur de l'équipe de France de football, nous sort une réplique dont la pertinence semble bien difficile à établir, mais bon... il faut bien s'y attaquer.

Journaliste : Gallas a eu mal au mollet gauche, droit, au ventre...

R.Domenech : Il va très bien, nettement mieux que s'il allait plus mal, nettement moins bien que s'il allait mieux.

Sce: AFP via Yahoo

Après avoir répondu à l'interrogation du journaliste, R.Domenech ajoute, par juxtaposition, des considérations non-informatives car frappées par le sceau du pléonasme : il développe une comparaison dont le deuxième membre s'avère n'être que le contraire du premier, possibilité offerte du simple fait que le deuxième membre de la comparaison n'est qu'une potentialité, donc irréelle et exprimée sous la forme d'une condition introduite par "si", ce qui nous donne le schéma suivant :

Il va [...] mieux que s'il allait plus mal

Et comme cela ne suffisait pas, il poursuit sa quête de pléonasme en déployant la réciproque :

Il va [...] moins bien que s'il allait mieux

En entendant R.Domenech, ce jour-là, je me suis dit : "Eh bah, l'est pas très coopératif le Raymond". Et aussitôt j'ai pensé à la fameuse "coopération" censée réglementer les conversations. En 1975, Paul Grice, un philosophe britannique, pose sur le papier le principe selon lequel toute conversation nécessite la coopération des interlocuteurs. Si ce n'est une loi absolue, c'est néanmoins une norme car communément observée. De ce concept découlent des règles, autrement appelées les "maximes conversationnelles" qui sont au nombre de quatre :

1. Maxime de quantité
- Donnez autant d’informations que nécessaire.
- Ne donnez pas plus d’information que nécessaire
.
Imaginons que quelqu’un vous demande où habite un tel. Vous lui indiquez, sauf cas particulier, la rue et le numéro. Vous n’indiquez pas simplement la ville, car ça ne suffirait pas. Vous donnez donc suffisamment d’informations. A l’inverse, vous ne mentionnez pas en plus de la rue la ville, le pays, le continent. Vous ne donnez donc pas trop d’informations.

2. Maxime de qualité (ou de vérité)
- Ne dites pas ce que vous croyez être faux.
- Ne dites pas ce que vous n’êtes pas en mesure de justifier
.
C’est cette maxime paradoxalement, permet de mentir. Étant donné que votre interlocuteur part du principe que vous respectez la maxime de vérité (on pourrait parler de présomption de sincérité), il pense que vous considérez ce que vous dites comme vrai.

3. Maxime de pertinence, ou de relation
– Soyez pertinent (dans la continuation de la discussion). Soyez à propos.

4. Maxime de manière
- Ne soyez pas obscur.
- Ne soyez pas ambigu.
- Soyez bref.
- Soyez méthodique.


Sce : Extrait odieusement copié-collé à partir de l'article "Maximes de conversation" sur le site Heurisis.ch

Dans l'exemple qui nous intéresse aujourd'hui, R.Domenech brise et re-brise volontairement trois des quatre maximes, mettant ainsi à mal la conversation elle-même, et c'est cela, je le crois, qui agace les journalistes. Dans le cadre très codifié d'une conférence de presse (les uns questionnent, l'autre répond), R.Domenech ne joue pas le jeu, et il le sait, et il en joue ; ça agace forcément les journalistes. Quelques minutes plus tard, il reprendra la même recette :

Journaliste : L'équipe est-elle prête?

R.Domenech : J'espère qu'elle n'est pas prête, il faut être prêt le jour du match. J'espère qu'on est moins bien que quand on sera prêt...

Sce : Ibid. plus haut
Même cause, mêmes effets : ça agace les journalistes.



1 commentaire:

Thierry Raeber a dit…

Bonjour,
Ne serait-il pas possible de comprendre, dans la réponse certes très maladroite de Domenech, outre une simple violation gratuite des maximes, une réponse tout de même informative au bout du compte ? Domenech nous dit que l'équipe va "mieux que si elle allait mal", et "moins bien que si elle allait mieux", forme tautologique qu'on peut interpréter comme quelque chose de l'ordre de "elle pourrait aller plus mal, elle pourrait aller mieux. L'équipe va comme elle va, plutôt bien, on parle d'autre chose". Ainsi, la violation apparente des maximes apporte un sens supplémentaire non négligeable.
Finalement, une fois décodé, on constate que Domenech met effectivement des bâtons dans les roues des journalistes, mais de manière plus subtile qu'une simple réponse purement ininformative.

Au passage, ravi de voir que mon article sur les maximes de Grice vous a plu :-)

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