jeudi 18 novembre 2010

Nicolas Sarkozy : "ma détermination n'a rien changé"

Lors de l'entretien du 16 novembre 2010, Nicolas Sarkozy aura eu ce que l'on appellera un lapsus, un mot mis à la place d'un autre et donnant à l'énoncé un sens qui n'était pas souhaité.

"C'est rude, mais au fond ma détermination n'a rien changé".

Sce : via Fred-lille sur lepost.fr

On peut rétablir facilement l'énoncé correct : ma détermination n'a pas changé. Un seul mot suffit mais ce petit rien change tout. 

Pas est un adverbe de négation qui fonctionne traditionnellement en corrélation avec ne et donne à la négation un caractère absolue. D'autres adverbes de négation peuvent aller dans le même sens ou apporter des nuances : jamais, guère, nullement, etc.

Quant à rien, ce n'est pas un adverbe mais un pronom indéfini. Ainsi placé dans l'énoncé il devient complément d'objet du verbe "changer". Et c'est là que tout est chamboulé, car dans la phrase correcte, ma détermination n'a pas changé, le verbe a un emploi absolu et le changement affecte le sujet du verbe. Or rien apparaît naturellement comme complément d'objet direct du verbe "changer", ce qui donne au verbe un emploi transitif direct : le changement affecte le complément.

On dit souvent que c'est la phrase qui donne le sens d'un mot ; là, pour le coup, c'est un mot qui a fait basculer la phrase en forçant le sens du verbe.


mercredi 17 novembre 2010

D'une brève de comptoir l'autre

Il semble aujourd'hui établi que je m'aventure bien au delà de la Grande littérature pour dénicher les faits de langue qui nourrissent ce blog. Ce soir, fidèle à la tradition, rendez-vous au bistrot :

Me fais pas chier avec le rêve américain ! Si ils rêvent, c'est qu'ils dorment !

Sce : Les 4 Saisons des Brèves de comptoir : Le printemps, Jean-Marie Gourio, ed. Pocket, 2009, p.29

Afin, je suppose, de fermer le clapet de son interlocuteur, l'illustre et anonyme auteur aura joué d'une syllepse de sens, i.e une figure qui consiste à employer un même mot dans deux sens différents. Dans notre exemple, le "rêve américain" désigne de prime abord un projet, un désir ; il se voit ramené à son sens premier par le biais de "c'est qu'ils dorment", dormir étant un présupposé du rêve au sens premier, et non de l'autre.


Tiens, sur la même page, je vois une brève qui me fait penser à Henri Bergson, philosophe français qui définit dans son essai intitulé Le rire la règle suivante : "On obtiendra un mot comique en insérant une idée absurde dans un moule de phrase consacré" (in Le rire, 1900). Illustration toute didactique :
"À l'huile"... en sept lettres.
- "Couille" !
- Tu crois que c'est "couille" ? À l'huile ?
- Non, mais "sardine" c'est pas rigolo...

Sce : ibid

mercredi 10 novembre 2010

François Fillon : "j’ose pas raconter tout ça, mais..."

Dans l'entame de son discours devant les ingénieurs et scientifiques de France, le 03 novembre 2010, François Fillon se livre à une "confidence" qui se poursuivra par une anecdote personnelle, le tout ayant pour but de détendre l'atmosphère et d'emporter la sympathie de son auditoire. Comme cette anecdote est en décalage par rapport à ce que l'on peut attendre d'un Premier ministre, ce dernier en avertit son auditoire par une prétérition, i.e une figure qui consiste à déclarer passer sous silence une chose en l'évoquant tout de même : "je n'ose pas raconter tout cela, mais...". Ici, la figure vise à signifier que ce qu'il va dire n'a pas tout à fait sa place, qu'il ne devrait pas raconter tout cela, mais le fait pourtant. Ainsi, il inscrit son discours dans le fil de la "confidence", d'une intimité dévoilée.

Mesdames et Messieurs,
c’est d’abord un immense succès que cette soirée, si j’en juge par le fait que tous les salons de Matignon sont remplis. Et puis je voudrais vous faire une confidence, je voulais être ingénieur. Et toute ma jeunesse j’ai…je n’ose pas raconter tout cela, mais* je bricolais avec des tas de machins électroniques et seule une mauvaise rencontre avec un mauvais professeur de mathématiques m’a fait échouer, s’agissant de cette ambition. Je n’ai pas complètement perdu de vue ce but que je poursuivais puisqu’il n’y a pas très longtemps, je crois que c’était il y a deux ans, mon fils le plus jeune qui devait avoir six ans allant à l’école à la rentrée, vous savez le maître demande toujours : qu’est-ce que font vos parents ? Et donc mon fils a répondu : « mon Papa, il répare des ordinateurs ». Voilà.

Sce : retranscription du discours du Premier ministre devant les ingénieurs et scientifiques de France, sur gouvernement.fr, le 03/11/2010.

Addendum : Une écoute attentive donne une retranscription d'un registre de langue plus courant : "j'ose pas raconter tout ça, mais...". Ce registre va de pair avec l'aspect confidentiel de l'épisode intime raconté.


Nb : Je ne sais trop pourquoi je m'intéresse tant aux prétéritions, peut-être leur ironie voire leur hypocrisie, ou bien encore les contradictions dont elles se jouent. Quoi qu'il en soit, j'ai déjà traité un cas récemment, celui de Nicolas Sarkozy qui assurait ne pas vouloir reprendre une phrase de Michel Rocard mais le faisait pourtant. Et puis la nuit dernière, tandis que je bouquinais en attendant le sommeil, j'ai croisé un nouvel exemple dans le roman Cité de verre de Paul Auster : "Il va sans dire que Quinn perdit pas mal de poids au cours de cette période". Cette occurrence est remarquable en ce qu'elle ne constitue pas une création littéraire car il va sans dire que c'est une expression d'usage courant, il va sans dire que... Cette expression a communément pour rôle de souligner une évidence.

vendredi 5 novembre 2010

François Fillon : "ces défis ne se prêtent nullement à des virages tacticiens"


Ces derniers jours, quelques phrases de François Fillon ont été largement commentées par les médias ; elles manifesteraient la volonté de celui-ci de demeurer Premier ministre tandis que s'annonce un remaniement ministériel. Si j'utilise le conditionnel (de précaution), c'est que les commentaires font ressortir un sous-entendu, i.e un élément non exprimé dans le discours mais qui est laissé à entendre. Et moi, j'aime bien les sous-entendus. Alors voilà une énième analyse du phénomène.
"La réforme des retraites, Mesdames et Messieurs, sera bientôt derrière nous, mais elle n’est qu’un pas supplémentaire dans la nécessaire rénovation de notre modèle social et économique. Je crois à la continuité de notre politique réformiste parce que je pense qu’on ne gagne rien à changer de cap au milieu de l’action et parce que le redressement de la France réclame de la durée. Cette politique c’est une politique équilibrée et cela n’est pas en la faisant basculer à gauche ou à droite que l’on obtiendra des résultats. Et cela n’est pas non plus en reniant ce que l’on a fait ou en nous excusant d’avoir réformé que nous convaincrons nos concitoyens. Je pense que les Français nous jugeront sur notre cohérence, sur notre droiture et sur notre franchise. Nous avons des défis à relever et ces défis ne se prêtent nullement à des virages tacticiens".
Le défi principal c’est celui de l’endettement qui nous commande de respecter une stricte discipline budgétaire d’ici 2013. Nous avons le défi de la compétitivité, que vous connaissez mieux que quiconque, qui nous impose d’alléger encore les contraintes qui pèsent sur nos entreprises. Nous avons le défi de l’emploi qui exige en particulier de cibler nos efforts sur les jeunes et sur les seniors et de bâtir enfin cette flexisécurité, qui a apporté tellement d’apaisement et d’efficacité économique aux pays d’Europe du Nord. Nous avons le défi de la fiscalité qui nous invite à mettre sur pied un système qui soit à la fois plus efficace et plus juste. Et puis nous avons le défi de la Sécurité sociale qui nous impose de lutter contre les déficits.  
Sce : retranscription du discours du Premier ministre devant les ingénieurs et scientifiques de France, sur gouvernement.fr, le 03/11/2010. 

Il apparaît que F.Fillon n'exprime pas explicitement l'idée  selon laquelle il souhaite continuer son action en tant que Premier ministre. En effet, les termes "continuité", et "durée" s'appliquent respectivement à "notre politique réformiste" et au "redressement de la France" ;  il en va de même pour les expressions  "virages tacticiens" et "changer de cap" ; c'est une ligne politique qui est ainsi qualifiée par le Premier ministre, non pas sa propre personne. Pour ce faire, il faut déployer un sous-entendu bâti sur une métonymie* qui tisse un lien strict entre la politique menée et la personne qui en a la charge, à savoir François Fillon. Ainsi, ce serait ce dernier qui devrait s'inscrire dans la continuité. Ce sous-entendu ne peut se construire que grâce à un présupposé lui-même implicite et qui est : tout changement de Premier ministre entraîne un changement de politique.

Je m'attarderai deux secondes sur la proposition suivante : "ces défis ne se prêtent nullement à des virages tacticiens" pour relever plusieurs faits de langue. En premier lieu l'adjectif "tacticiens" est péjoratif, forgé à partir de l'adjectif tactique, et vise à dénigrer les "virages", terme qui est également péjoratif dans un contexte politique. Je m'interroge aussi sur la valeur  du déterminant "des". Cela peut paraître anodin mais le recours à l'article indéfini ainsi qu'au pluriel confèrent aux "virages" une imprécision presque méprisante. On s'en rend mieux compte en faisant jouer le paradigme : 

la version originale :
ces défis ne se prêtent nullement à des virages tacticiens
la même au singulier :
ces défis ne se prêtent nullement à un virage tacticien
avec l'article défini contracté
ces défis ne se prêtent nullement aux virages tacticiens

Et enfin n'oublions pas que la négation est renforcée par l'adverbe "nullement" en lieu et place d'un simple pas, ainsi nous aurons fait le tour des subtilités de cette formulation.

Comme vous l'aurez remarqué, j'ai laissé courir la retranscription du discours du premier Ministre sur le paragraphe suivant afin de noter le recours à l'anaphore, i.e la répétition en tête de phrases d'un même mot ou groupe de mots ; en l'occurrence "nous avons le défi de...". Celle-ci a deux objectifs plus rhétoriques qu'esthétiques, il s'agit d'insister par le biais de la répétition sur la notion de défi en en faisant un maître mot, tout en organisant clairement les différentes thématiques abordées, à savoir "l'endettement", "la compétitivité", "l'emploi", "la fiscalité" et "la Sécurité sociale". On voit ainsi se dessiner ce qui ressemble à un programme de politique générale. Non seulement, comme l'ont relevé les commentateurs, F.Fillon manifesterait dans ce discours sa volonté de rester Premier ministre, mais encore il y esquisse des propositions pour la suite et fin du mandat actuel. Et certains ne pourront s'empêcher de penser qu'il faudrait plus d'un an et demi pour relever l'ensemble de ces défis, ce qui entrouvrirait d'autres interprétations, y compris contraires à celle déjà énoncées, mais ce sont des conjectures qui n'ont pas leur place ici ; elles auront toutefois le mérite de souligner l'incertitude inhérente à l'interprétation des sous-entendus. 



* La métonymie est une figure de substitution exprimant une chose par une autre, laquelle comporte avec la première un lien logique. On parle plus spécifiquement de synecdoque quand les deux choses ont un rapport d'inclusion : voile pour bateau à voiles, roues pour voitures à roues, la France pour l'équipe de France de football. Pour une explication plus complète de la différence entre métonymie et synecdoque, je vous conseille ce papier d'Alex sur Pincetonfrancais.be.  
Plus généralement, la substitution d'un mot attendu par un autre s'appelle un trope ; de fait celui-ci sert de base à de nombreuses figures de style.

 
Copyright 2009 Les paroles prisées. Powered by Blogger Blogger Templates create by Deluxe Templates. WP by Masterplan