vendredi 5 novembre 2010

François Fillon : "ces défis ne se prêtent nullement à des virages tacticiens"


Ces derniers jours, quelques phrases de François Fillon ont été largement commentées par les médias ; elles manifesteraient la volonté de celui-ci de demeurer Premier ministre tandis que s'annonce un remaniement ministériel. Si j'utilise le conditionnel (de précaution), c'est que les commentaires font ressortir un sous-entendu, i.e un élément non exprimé dans le discours mais qui est laissé à entendre. Et moi, j'aime bien les sous-entendus. Alors voilà une énième analyse du phénomène.
"La réforme des retraites, Mesdames et Messieurs, sera bientôt derrière nous, mais elle n’est qu’un pas supplémentaire dans la nécessaire rénovation de notre modèle social et économique. Je crois à la continuité de notre politique réformiste parce que je pense qu’on ne gagne rien à changer de cap au milieu de l’action et parce que le redressement de la France réclame de la durée. Cette politique c’est une politique équilibrée et cela n’est pas en la faisant basculer à gauche ou à droite que l’on obtiendra des résultats. Et cela n’est pas non plus en reniant ce que l’on a fait ou en nous excusant d’avoir réformé que nous convaincrons nos concitoyens. Je pense que les Français nous jugeront sur notre cohérence, sur notre droiture et sur notre franchise. Nous avons des défis à relever et ces défis ne se prêtent nullement à des virages tacticiens".
Le défi principal c’est celui de l’endettement qui nous commande de respecter une stricte discipline budgétaire d’ici 2013. Nous avons le défi de la compétitivité, que vous connaissez mieux que quiconque, qui nous impose d’alléger encore les contraintes qui pèsent sur nos entreprises. Nous avons le défi de l’emploi qui exige en particulier de cibler nos efforts sur les jeunes et sur les seniors et de bâtir enfin cette flexisécurité, qui a apporté tellement d’apaisement et d’efficacité économique aux pays d’Europe du Nord. Nous avons le défi de la fiscalité qui nous invite à mettre sur pied un système qui soit à la fois plus efficace et plus juste. Et puis nous avons le défi de la Sécurité sociale qui nous impose de lutter contre les déficits.  
Sce : retranscription du discours du Premier ministre devant les ingénieurs et scientifiques de France, sur gouvernement.fr, le 03/11/2010. 

Il apparaît que F.Fillon n'exprime pas explicitement l'idée  selon laquelle il souhaite continuer son action en tant que Premier ministre. En effet, les termes "continuité", et "durée" s'appliquent respectivement à "notre politique réformiste" et au "redressement de la France" ;  il en va de même pour les expressions  "virages tacticiens" et "changer de cap" ; c'est une ligne politique qui est ainsi qualifiée par le Premier ministre, non pas sa propre personne. Pour ce faire, il faut déployer un sous-entendu bâti sur une métonymie* qui tisse un lien strict entre la politique menée et la personne qui en a la charge, à savoir François Fillon. Ainsi, ce serait ce dernier qui devrait s'inscrire dans la continuité. Ce sous-entendu ne peut se construire que grâce à un présupposé lui-même implicite et qui est : tout changement de Premier ministre entraîne un changement de politique.

Je m'attarderai deux secondes sur la proposition suivante : "ces défis ne se prêtent nullement à des virages tacticiens" pour relever plusieurs faits de langue. En premier lieu l'adjectif "tacticiens" est péjoratif, forgé à partir de l'adjectif tactique, et vise à dénigrer les "virages", terme qui est également péjoratif dans un contexte politique. Je m'interroge aussi sur la valeur  du déterminant "des". Cela peut paraître anodin mais le recours à l'article indéfini ainsi qu'au pluriel confèrent aux "virages" une imprécision presque méprisante. On s'en rend mieux compte en faisant jouer le paradigme : 

la version originale :
ces défis ne se prêtent nullement à des virages tacticiens
la même au singulier :
ces défis ne se prêtent nullement à un virage tacticien
avec l'article défini contracté
ces défis ne se prêtent nullement aux virages tacticiens

Et enfin n'oublions pas que la négation est renforcée par l'adverbe "nullement" en lieu et place d'un simple pas, ainsi nous aurons fait le tour des subtilités de cette formulation.

Comme vous l'aurez remarqué, j'ai laissé courir la retranscription du discours du premier Ministre sur le paragraphe suivant afin de noter le recours à l'anaphore, i.e la répétition en tête de phrases d'un même mot ou groupe de mots ; en l'occurrence "nous avons le défi de...". Celle-ci a deux objectifs plus rhétoriques qu'esthétiques, il s'agit d'insister par le biais de la répétition sur la notion de défi en en faisant un maître mot, tout en organisant clairement les différentes thématiques abordées, à savoir "l'endettement", "la compétitivité", "l'emploi", "la fiscalité" et "la Sécurité sociale". On voit ainsi se dessiner ce qui ressemble à un programme de politique générale. Non seulement, comme l'ont relevé les commentateurs, F.Fillon manifesterait dans ce discours sa volonté de rester Premier ministre, mais encore il y esquisse des propositions pour la suite et fin du mandat actuel. Et certains ne pourront s'empêcher de penser qu'il faudrait plus d'un an et demi pour relever l'ensemble de ces défis, ce qui entrouvrirait d'autres interprétations, y compris contraires à celle déjà énoncées, mais ce sont des conjectures qui n'ont pas leur place ici ; elles auront toutefois le mérite de souligner l'incertitude inhérente à l'interprétation des sous-entendus. 



* La métonymie est une figure de substitution exprimant une chose par une autre, laquelle comporte avec la première un lien logique. On parle plus spécifiquement de synecdoque quand les deux choses ont un rapport d'inclusion : voile pour bateau à voiles, roues pour voitures à roues, la France pour l'équipe de France de football. Pour une explication plus complète de la différence entre métonymie et synecdoque, je vous conseille ce papier d'Alex sur Pincetonfrancais.be.  
Plus généralement, la substitution d'un mot attendu par un autre s'appelle un trope ; de fait celui-ci sert de base à de nombreuses figures de style.

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