mardi 14 décembre 2010

Michel Mercier : "ils doivent être encore plus irréprochables qu'ailleurs"

Suite aux réactions à la condamnation à de la prison ferme de sept policiers par le tribunal de Bobigny, Michel Mercier, ministre de la Justice, s'exprimait dans Le Parisien sur le travail des juges en Seine-Saint-Denis. À cette occasion, il utilise un tour de phrase des plus étonnants mais efficace en rappelant que les juges "doivent être encore plus irréprochables qu'ailleurs". Étonnante formulation car absurde, l'adjectif irréprochable à un sens absolu et ne peut théoriquement accepter de degré de comparaison de supériorité. En effet, le Tlfi nous livre la définition suivante de l'adjectif irréprochable : "Auquel on ne peut faire aucun reproche, aucune critique, auquel on ne peut adresser aucun blâme". On ne peut donc pas être plus irréprochable qu'irréprochable. Voilà pour la théorie ; en pratique le fait de mettre un comparatif de supériorité, doublé de l'adverbe intensif "encore", n'a d'autre objet que de renforcer le caractère absolu de l'adjectif, quitte à risquer l'absurde. L'erreur logique est ainsi gommée par la pertinence de l'intention. Étonnant non ?

L'article de Wikipedia relatif au degré de comparaison nous livre un exemple remarquable à travers une citation de Georges Orwell tirée de La ferme des animaux : "Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d'autres".


Ci-dessous l'extrait de l'entretien mené par Thimothée Boutry :
Thimothée Boutry : Les syndicats de magistrats se sont déclarés « consternés » par toutes les déclarations…

Michel Mercier : Je serai toujours là pour défendre les magistrats qui ont toute ma considération. Je ne laisserai jamais dire que les magistrats sont laxistes. C’est totalement faux. Ils effectuent leur travail avec sérieux et responsabilité. Je les recevrai dans les prochains jours.

Th. Boutry : A Bobigny comme ailleurs?

M. Mercier : Oui, même s’il est sûrement plus difficile d’y travailler qu’ailleurs. La Seine-Saint-Denis est un département où les policiers comme les juges travaillent dans des conditions très spécifiques. C’est pourquoi ils doivent être encore plus irréprochables qu’ailleurs.

Sce : Michel Mercier : « Hortefeux n’est pas ministre de la Justice », publié le 12/12/2010 sur Leparisien.fr

jeudi 2 décembre 2010

Michel Serres et les "intersections fécondes"

Chaque année, Libération publie le "Libé des philosophes", c'était hier et voici l'introduction du philosophe Michel Serres, publié en Une du journal sous le titre "Intersections fécondes", celui-ci nous offre un grand catalogue d'images :

Depuis qu’a été inventé le Libé des philosophes, nous n’avons cessé de réfléchir sur les bénéfices de cette rencontre entre journalisme et philosophie. Elle produit plusieurs courts-circuits. D’abord un temps long y coupe la rapidité du jour, et peut lui apporter des aliments inattendus. Heureusement, l’éclair momentané de l’actualité réveille une mémoire prête à s’assoupir. On dirait un long fleuve tranquille enflammé soudain par les cascades d’un torrent. De plus, le philosophe creuse alors que le journaliste galope. Alors le vertical coupe l’horizontal. On dirait un carrefour et tout le monde sait que les rassemblements intéressants ont lieu en cette place. Enfin, la philosophie vole et plane parfois alors que l’actualité a le souci de garder les pieds sur terre. La seconde force la première à atterrir. On dirait un aéroport. Confluent, place de l’étoile, piste d’envol ou de retour, voilà les trois intersections fécondes que Robert Maggiori inventa pour le Libé des philosophes.

Sce: Liberation.fr

En classant toutes ces images, on découvre trois thèmes - les  rivières, la ville et l'aéroport, lesquels sont soigneusement agencés et soulignés par l'anaphore* des comparaisons suivantes : "On dirait un long fleuve", "On dirait un carrefour", "On dirait un aéroport". On pourrait même y voir plus généralement le champ lexical des éléments  traditionnels de la Nature et qui conférerait à la rencontre entre philosophie et journalisme un caractère à la fois naturel et fondamental :
  • l'eau : "un long fleuve", "les cascades de torrents", "confluent".
  • l'air et la terre en opposition : "vole", "plane", "piste d'envol", "les pieds sur terre", "atterrir".
  • le feu : "courts-circuits", "l'éclair", "enflammé".
Outre cela, le lien qui unit tous ces champs lexicaux est bien l'idée annoncée dans le titre, les "intersections", que M.Serres reprend de manière didactique à la fin du texte : "Confluent, place de l’étoile, piste d’envol ou de retour, voilà les trois intersections fécondes que Robert Maggiori inventa pour le Libé des philosophes." C'est bien agencé tout ça, au point même de répéter en toute fin ce qui lui avait servi d'entame : "Depuis qu’a été inventé le Libé des philosophes..." La boucle est bouclée.


Nb : Il ne serait pas idiot de détailler chacune des images utilisées mais malheureusement je n'en prends pas la voie et m'arrête là.
 
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* Anaphore : répétition en tête de phrases d'un même mot ou groupe de mots.
 
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